Garder le cap

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mardi 2 août 2016

La salle de soins - C3 J8

Je ne résiste pas ce soir à vous décrire la salle de soins telle que je la vis chaque lundi. Et spécialement aujourd'hui : c'était particulièrement cocasse. La différence entre les personnes qui y sont présentes vaut le détour.
Il y a les habituées, oui "ées" car les salles de soin ne sont pas mixtes. Les hommes d'un côté, les femmes de l'autre. Il y a aussi quelques chambres individuelles. D'ailleurs, normalement, la première séance de "lumino" se passe dans une chambre individuelle, sauf quand il y a trop de monde, ce qui a été le cas pour moi, j'ai donc été immédiatement mise dans le bain des salles communes. Bon ok, ce n'est pas non plus la misère : il n'y a que 5 fauteuils par chambre.

Après, il y a celles que je retrouve chaque semaine, et qui doivent donc suivre un protocole assez identique au mien. Et puis, il y a celles que je croise occasionnellement. De tous milieux confondus, de tous horizons.

Ce matin, le détour valait vraiment la peine. Convoquée à 9h30, le temps de passer aux admissions, d'arriver dans le service, d'être accueillie par une toute petite nouvelle élève infirmière, un peu paniquée par sa toute première journée dans le service, je me retrouve dans la suite "Alain Delon" ou plus exactement la chambre 018.  Une première dame est déjà installée, toute tranquille et discrète dans son coin. Je l'ai déjà croisée une ou deux fois, elle ne parle pas, lit ses Paris Match, et est accompagnée par son mari, un petit monsieur, tout aussi discret qu'elle. Il reste auprès d'elle de longs instants, plongé aussi dans de la lecture, mais un peu plus intellectuelle d'après ce que j'ai vu ce matin, il lisait du Voltaire. A chaque intervention de l'infirmière, il doit sortir de la chambre comme tous les accompagnateurs. Je m'installe donc dans le fauteuil près de la fenêtre, j'aime sentir la présence de la nature près de moi dans ces moments là. (J'ai la chance d'être suivie à l'hôpital de Bligny, situé dans un immense parc, ce n'est pas comme si j'allais faire mes séances à Paris, au milieu du béton).
J'attends l'arrivée de ma "copine de fauteuil" comme elle dit, Sophie, un femme que j'ai connue il y a un mois environ et avec qui j'ai tout de suite accroché. Beaucoup de choses nous rapprochent. Elle ne porte pas de perruque, comme moi. Elle jeûne les jours de chimio, comme moi. Elle est (ou du moins essaie d'être) positive au maximum, comme j'essaie de le faire. Nous aimons nous retrouver et nous placer dans deux fauteuils côte à côte  pour pouvoir nous parler, échanger sur nos expériences, nos difficultés, nos bons trucs. La première fois que je l'avais vue, j'étais en train de repartir après ma séance, et je l'ai aperçue assise sur son fauteuil avec un petit bibi sur la tête, bleu, en coton tricoté au crochet. Je me suis précipitée vers elle pour savoir où elle l'avait trouvé. Mais malheureusement ce petit bonnet très mimi lui a été donné par le fils d'une amie, qui l'avait acheté il y a des années dans une boutique rasta. Je ne me vois par courir les boutiques rasta dans Paris pour trouver le même genre de bibi.
Toujours dans l'attente, je vois arriver une femme qui est là tous les lundis. Je n'ai pas réussi à identifier de quelle origine elle peut être. Espagnole ? Portugaise ? Maghrébine ?  Je pense plus pour une espagnole mais qui s'exprime difficilement en français, et qui parle très fort, qui arrive avec ses affaires dans un sac en plastique et qui fait un potin du diable quand elle farfouille dedans.
Je prie pour qu'elle ne s'installe pas sur le fauteuil à côté du mien - qui attend Sophie.
Je lève les yeux, et là, je croise le regard effaré de la petite dame discrète. Elle ne doit pas la connaître. Mme G. pose son sac en plastique sur le premier fauteuil et se précipite dans les toilettes. Elle a aussi la particularité de décrire tout ce qu'elle fait, ce qui me fait rire intérieurement. Bref, elle ressort des toilettes alors que l'infirmière l'attend déjà avec tout son attirail pour la brancher. Mais là, impossible pour mme G. de grimper sur le fauteuil, il est trop haut, et elle est plutôt petite et de forte corpulence. Elle se retourne donc et jette son sac sur la table du fauteuil situé juste à côté de la petite dame discrète. Une histoire sans parole commence, et j'avoue que cette tranche de vie m'a beaucoup amusée.
Je vois le regard, effaré, interloqué, choqué de la petite dame, toute petite, fine et discrète qui n'arrive pas à se détacher de l'autre dame, qui parle fort, qui s'installe dans un bruit absolument incroyable, qui va faire tomber la commande du fauteuil, puis son sac en plastique. On dirait qu'elle va vomir, elle se recroqueville sur son fauteuil et paraît encore plus petite. C'est très drôle à observer.

Puis, je vois enfin arriver ma copine de fauteuil, qui s'installe immédiatement près de moi, ouf ! 😉

Là-dessus, chacune se retrouve branchée, et les traitements démarrent. Je mets mes oreillettes sur mes oreilles, pour écouter la séance d'hypnose afin de supporter au mieux les moufles et les poufles sortis tout droit du congélateur.

Là où je rigole à nouveau, c'est en fin de matinée, vers midi. Mme G. chaque semaine, attend son plateau repas avec une impatience absolument non déguisée. A partir de midi, elle commence à se trémousser sur son fauteuil et n'arrête pas de commenter "qu'ils sont en retard, mais quand le plateau va t-il arriver? J'ai faim, je ne partirai pas avant d'avoir mangé ...". Elle demande même à ce que son taxi ne soit pas appelé avant qu'elle n'ait mangé. Elle nous prend toutes à témoin.
Entre temps, une autre dame s'est installée sur le dernier fauteuil, je vois bien qu'elle ne sait pas comment réagir. Entre la petite dame recroquevillée au fond de son fauteuil, avec son air outré, Sophie qui dort sur le sien, moi qui les regarde en souriant d'un air goguenard ... Nous devons faire une drôle d'assemblée !!

3 commentaires:

  1. C'est une page de Balzac que tu viens d'écrire, je pourrais l'utiliser en classe dans ma séquence réalisme et naturalisme!tu as vraiment bien su faire sentir l'ambiance, eh oui, l'hôpital c'est comme le service militaire , toutes classes sociales confondues, c'est la première chose que j'avais ressentie lors de ma longue hospitalisation.

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  2. Hi Nat, je reprends l'antenne ! Chouette récit que tu nous fais. Bien d'accord avec Sylvie à propos du service militaire, où j'ai rencontré des gens qui, après 2 mois de classe, ne savaient toujours pas marcher au pas (pas que ça leur manquera dans la vie, toutefois...).
    Tu as lu Balzac ? Excellent auteur que j'adore ! Si tu manques de lecture, je peux te suggérer pas mal de classiques, c'est l'occaze ! Vois-tu toujours ton guerrisseur ?

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  3. Hello Nat, peut-être es-tu en pleine retraite ? Tu dois voir pas mal de gens intéressants ! J'espère que tu as pris un carnet de voyage pour prendre des notes, dessiner, etc et nous faire partager tout ça à ton retour.
    Moi je me suis tapé une crise de paludisme ce week-end (30 ans que je n'en avais pas fait) et je me suis trainé comme un p'tit vieux pendant 2 jours malgré la Nivaquine que j'ai pu me procurer. Et maintenant j'ai un œdème au mollet gauche...

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